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La croisière de BEING HAPPY! de Jean-François LEPETIT
10 octobre 2011

Mini Transat à FUNCHAL

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Mini-Transat à FUNCHAL



La petite marina de Funchal est remplie des voiliers en escale dans la course de la Mini Transat. Ces quatre vingt voiliers sont encore plus petits que les Figaro que j’avais accompagnés dans la Figaro Méditerranée rebaptisée la Generali cette année là. Ils arborent leurs grand pavois, composés  essentiellement des logos de leurs sponsors. Tout cela flotte gaiement dans le soleil et le vent.


Ces courses en solitaire provoquent chez moi des sentiments forts.


D’un côté j’admire pleinement la performance individuelle. Passer des jours et des nuits en course, seul. Tirer de son voilier à chaque instant le meilleur réglage pour la meilleure vitesse. Oublier de manger, boire et dormir pendant le temps de la course. Etre obsédé de cette lutte contre des dizaines d’autres voiliers pratiquement identiques. Vivre héroïquement dans le toujours plus. Viser les premières places qui, seules,  vous distinguent de la masse, tremplin vers d’autres gloires et sésame des portes de sponsors.


C’est admirable, mais hélas c’est aussi  scandaleux.


Chacun est évidemment libre de naviguer seul en mer sur n’importe quel esquif. Mais la Mini Transat est une course en solitaire, comme le Vendée Globe ou d’autres solitaires organisées. De telles courses suscitent en moi de graves objections juridiques et morales.


Une des lois de la mer parmi les plus logiques et les plus raisonnables exige que l’équipage d’un navire assure une veille constante. Les Instructions Nautiques que nous avons à bord nous le rappellent. Cela va de soi, pour tout marin, quand on sait les aléas de la navigation, les rencontres de navires en pilotage automatique, et, dans les mers du Sud  ou du Grand Nord, les risques d’icebergs ou de growlers. En pratique, il faut au moins être deux à bord pour assurer cette obligation.


Chacun peut individuellement se mettre en infraction, à ses risques et périls, sous sa propre responsabilité. Personnellement, je ne l’approuve pas, car le solitaire peut mettre d’autres personnes en danger ou obliger d’autres navires à venir à son secours. Pour autant la vie quotidienne à terre a bien d’autres exemples de ces comportements.


En revanche, je trouve inadmissible que des courses en solitaire puisent être organisées. Il me parait en effet inconcevable qu’une association puisse se créer avec un objectif illégal, qu’un préfet puisse autoriser une manifestation de départ ou d’arrivée d’une course qui ne respecte pas une loi élémentaire de la mer. Pire, je considère que l’organisateur d’une course en solitaire  commet  une faute morale grave. Ce n’est pas lui qui, comme le solitaire « individuel »,  met sa vie en jeu. Il met en jeu la vie des autres. C’est facile, tentant  si cela rapporte gros. Les Romains aimaient les jeux du cirque car le sang pouvait couler. Le danger de la course en solitaire est attractif pour le bon peuple et ses journalistes avides de sensationnel.  Les épreuves du solitaire dans la nuit, dans le mauvais temps, dans le manque de sommeil, dans la faim et la soif dont on n’a pas le temps de s’occuper, la mort qui guette l’erreur humaine ou profite de l’impondérable, c’est tellement plus « vendeur » que le travail et la sécurité de l’équipe.


On connait mon attachement au Yacht Club de France et à ses responsables. J’ai souvent évoqué avec eux cette question, insistant sur le fait que notre Club est une autorité morale de la Plaisance et qu’il doit faire connaître son opposition de principe à ce type de course. Certains de ces amis sympathisent avec mon opinion, mais le YCF ne veut pas prendre position sur ce sujet.


L’argument pour, sinon approuver, du moins laisser faire, est que les coureurs sont libres de participer à la compétition et qu’ils engagent ainsi leur propre responsabilité. Le même argument  est utilisé  pour justifier des départs de course dans des conditions de météo très défavorables. Bel argument qui veut à lui seul justifier la catastrophes du Fastnet en 1976 et, en 1998, les six morts et les cinq bateaux disparus de la course Sydney Hobart .


Je ne connais pas de plus grande hypocrisie et de plus grande lâcheté morale que d’affirmer ce principe de liberté du coureur solitaire ou des équipes en course. Etre libre, pour tout un chacun, c’est avoir le choix. Or dans les courses modernes, les coureurs sont des professionnels ayant passé des contrats avec leurs sponsors et sont engagés financièrement bien au-delà de leurs moyens. Leur seul espoir est de bien performer  pendant la course pour commencer à rembourser leurs dettes. Encore faut-il prendre le départ. Les courses en équipage ont des contraintes professionnelles et financières encore plus sévères. Doit-on aussi souligner que si l’un des concurrents avait des doutes, le départ des autres suffirait à le décider : moi, peur ? Allons donc ! Aucun de ces solitaires n’a le choix. Il fut y aller. Ave Caesar.


A Funchal, les voiliers mesurent  six mètres cinquante. J’ose dire que la responsabilité de l’organisateur de course est inversement proportionnelle à la longueur du bateau, en ligne avec les risques qui augmentent. Comble de l’hypocrisie, les concurrents n’ont pas le droit de se faire communiquer la météo. Ils n’ont que la BLU…Faut bien mettre un peu de piment quoi ! D’ailleurs, qu’ont-ils d’autre à bord ?


Ces courses en solitaire devraient donc être interdites, non pas en application de l’inepte  principe de précaution, mais en ligne avec les règles de mer et de bon sens. Ainsi,  un organisateur de course en solitaire est en faute et fait prendre à d’autres des risques qu’il n’assume pas, ni moralement, ni financièrement. Il en est de même pour celui qui donne un départ incompatible avec la sécurité normale des plaisanciers et de leurs bateaux.


En France, nos juges ont éprouvé le besoin de condamner une irréprochable organisatrice de la Nioulargue, en raison d’un accident où un équipier avait trouvé la mort. De son côté, un de nos  Présidents a fait régler par l’Etat la note du sauvetage d’un bateau du Vendée Globe par les sauveteurs australiens. A chacun sa vérité. Au fait, il semble bien que la France est le seul pays à organiser aujourd’hui des courses en solitaire. Curieux, non ? Certainement parce que nous sommes de grands marins.


Allons, il fera beau jusqu’à Salvador de Bahia.


A bord de BEING HAPPY !


Funchal, le 10 octobre 2011

 



 

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Commentaires
H
ta trop raison Papa.. c'est vrai que ça fait vraiment penser aux jeux du cirque... et le fait qu'ils interdisent de communiquer la météo - chose que j'ignorais - ne fait qu'augmenter l'analogie... et contredire une fois encore les principes qu'on enseigne aux apprentis marins...<br /> <br /> bravo pour ce billet... en espérant qu'il fera des petits...<br /> <br /> bisoux<br /> Hélène
La croisière de BEING HAPPY! de Jean-François LEPETIT
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