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La croisière de BEING HAPPY! de Jean-François LEPETIT
8 mars 2012

L'ennemi public de l'intérieur : les agences de notation

L’ennemi public de l’intérieur : les agences de notation.

 

Dans un système de marché de banques commerciales où l’intermédiaire financier connait son client, et réciproquement, les rapports de confiance qui peuvent et doivent en résulter permettent à la banque de prêter  dans les meilleures conditions de remboursement à l’échéance ; de son côté, confiant dans les conseils de son banquier, le client peut placer son épargne dans des investissements qui lui conviennent. Ce marché est de type relationnel, base du marché bancaire intermédié.

Dans un marché mondial, global, où les relations entre les intermédiaires et les clients sont distendues, la confiance ne repose pas sur la qualité de la relation mais sur des rapports acheteur/vendeur de produits financiers, dans lesquels la responsabilité de l’intermédiaire est comparativement réduite. C’est l’acheteur qui doit évaluer le produit et son propre intérêt pour ses investissements.

La confiance repose dès lors sur l’information qui est fournie par l’intermédiaire à son client sur le produit, ses caractéristiques, ses risques, tels que l’émetteur (l’emprunteur, le contractant) les expose, tels que le régulateur les lui impose, tels que l’intermédiaire les révèle. Le contractant et l’intermédiaire étant en conflit d’intérêt avec l’acheteur, les marchés ont cherché une solution objective pour conforter l’investisseur dans son analyse des produits.

L’agence de notation est la réponse au besoin d’objectivité et d’indépendance réclamé par l’investisseur. C’est en effet un organisme privé autonome composé d’experts qui font sous forme de grille en échelle une estimation de la probabilité de remboursement du prêt ou de l’exécution du contrat d’émission. L’opinion des experts est justifiée par des analyses financières et économiques qui explicitent la note attribuée. La graduation la plus haute est le AAA bien connu. Cette notation au profit de l’ensemble du marché, et surtout des investisseurs, permet en principe de compenser l’asymétrie d’information entre l’acheteur-investisseur et l’intermédiaire-vendeur-emprunteur...

Comme c’est aussi un service pour l’émetteur de pouvoir diffuser ainsi des informations indispensables pour le marché, l’usage veut que ce soit l’émetteur qui rémunère l’agence de notation. On pourrait aussi argumenter que ce soit l’investisseur qui paye le service dont il bénéficie directement. Cela éliminerait le conflit d’intérêt entre l’émetteur et l’agence. Malheureusement, il a toujours été impossible de progresser dans cette voie de bon sens. Ce n’est pas la seule critique de fond.

Il est en effet important de noter à ce stade que l’agence ne fournit aucune information ni appréciation sur le titre émis, ses caractéristiques, son marché et sa liquidité. Ceci constitue une grave lacune et une contradiction avec la mission de l’agence : l’investisseur est certes intéressé par la capacité de l’émetteur à rembourser à l’échéance, mais s’il achète le titre, il est tout autant concerné par la possibilité de revendre ce titre avant son échéance. J’ai eu maintes fois l’occasion de discuter ce point avec les responsables des trois agences. Un front commun m’a répondu que ce n’était pas leur métier et qu’elles n’étaient pas en mesure de satisfaire ce besoin des investisseurs. Je n’en crois pas un mot car le premier analyste de marché le plus borné est capable de faire  une appréciation du marché d’un titre et de sa liquidité. En vérité, on ne peut mieux illustrer le fait que l’agence travaille en fait pour l’émetteur et qu’elle n’est pas prête à écrire que le titre n’a pas ou peu de marché, au risque de décourager les investisseurs. Elle préfère miser, avec l’émetteur, sur l’illusion de la liquidité du marché de tous les titres.

 Dernière remarque de cadre général, il faut mentionner que le rôle des agences est très complémentaire de celui des firmes d’audit : ces dernières garantissent l’authenticité des comptes et les notations sont utiles pour apprécier la valeur des actifs des firmes.

Emetteur, titre d’émission, broker, agence de notation, firme d’audit, marchés d’investisseurs constituent un ensemble cohérent de distribution du crédit. Dans ce système, ( l’OTD, Originate To Distribute – crée le crédit pour le replacer), c’est l’investisseur qui, finalement, fait crédit, pour le temps qu’il garde le titre,  alors que dans le système bancaire intermédié, c’est la banque qui porte le risque et son fiancement jusqu’à son échéance. Malgré les leçons de la crise, dont l’une est l’échec patent de l’OTD, les régulateurs ont renforcé singulièrement le système d’intermédiation de marché au détriment du système intermédié : les normes comptables IFRS consacrent les notations des agences dans la qualification comptable des instruments financiers. Parallèlement les régulateurs bancaires et les banques centrales prennent en compte les notations pour les mesures de liquidité et les prises en pension des titres. 

Dans la pratique, il faut remarquer que la  notation des titres émis sur le marché US du Commercial Paper, Medium Term notes et autres Bonds, illustrations  du système OTD,  a bien fonctionné pendant des décennies. Il est vrai que les trente glorieuses étaient un environnement économique porteur. Quelques accidents comme celui de Penn Central n’ébranlèrent pas la confiance des investisseurs dans le système.

Plus récemment, la faillite d’ENRON au début de la décennie démontra l’incapacité des  agences de notation d’apprécier en temps voulu la solidité du groupe et les risques de ses activités, égarées dans une certaine mesure par l’aveuglement des auditeurs. Si la faillite d’Arthur Andersen fut une dure sanction, d’ailleurs non confirmée par les Cours de justice, les agences de notation ne furent pas attaquées pour leur incompétence, ce qui est un déni de justice. Leur défense, toujours la même, est qu’ils fournissent une information sans responsabilité de  leur part.

 La crise des subprimes aurait dû pourtant être l’occasion de sanctionner les fautes inadmissibles des agences de notation. Le Président Obama s’y était engagé.

 En effet, ces institutions des marchés ont accordé des notations de la meilleure qualité à des titres représentatifs de portefeuilles de créances hypothécaires dont la valeur était clairement contestable. Pire, les mêmes agences accordèrent les mêmes notes excessives à des titres associés à des dérivés qui multipliaient le risque dans des proportions inadmissibles. Aucune analyse financière et économique sérieuse, aucun modèle mathématique ne pouvaient justifier ces notes qui permirent d’induire en erreur l’ensemble du marché pour des centaines de milliards de dollars. Dans la meilleure des hypothèses, les agences de notation ont prouvé leur totale incompétence ; dans l’hypothèse que je considère la plus probable, elles ont cédé à la tentation du profit et accepté sciemment de noter favorablement les montages toxiques et irresponsables des banques d’investissement de Wall Street. 

Ces agences portent directement la responsabilité du placement des ces créances toxiques dans les portefeuilles d’investisseurs du monde entier. Elles ont conduit des banques à faire de même, alors qu’elles auraient du s’étonner de pouvoir constituer des portefeuilles de créances AAA procurant des rendements bien supérieurs au rendement normal de ce type de titres. Si les investisseurs ont des excuses, il n’en est pas de même des banques dont on pourrait attendre plus de professionnalisme et de jugement. Les Citybank, UBS, RBS, LLoyds TSB, Dexia et bien d’autres ont fait perdre à leurs actionnaires, voire à leurs gouvernements, des sommes impardonnables. La faillite de AIG  est indirectement imputable aux agences, de même que celles, potentielles, des réhausseurs de crédit US dotés  d’un AAA scandaleusement favorable. Le conflit  d’intérêt, l’âpreté au profit, l’absence de gouvernance d’institutions de marché, relevaient de sanctions pénales, et à tout le moins  professionnelles. A l’abri d’un statut équivoque et sous le parapluie des intérêts de Wall Street et de la Nation Américaine, elles ne furent en rien inquiétées. Le système « originate to distribute » ne peut pas se passer d’agences de notation et Wall Street ne peut pas se passer d’un système aussi profitable. Qu’importe les milliards perdus par les investisseurs si Goldman Sachs fait des milliards de profits. Ce système avait pourtant prouvé son rôle dans une crise systémique majeure digne de celle de 1929.

 La leçon de la crise des subprimes est la faillite du modèle OTD alors même que la bonne tenue durant la crise de banques commerciales universelles comme la BNP et la Société générale prouvaient la solidité du modèle du crédit bancairement intermédié. Le plus surprenant est que les régulateurs en ont tiré la leçon inverse.

Ils ont constaté que de nombreuses banques à l’origine de la crise systémique avaient outrageusement accumulé des portefeuilles de créances toxiques et en avaient subi des pertes historiques. Plutôt que de s’attaquer à l’origination abusive de ces créances et au rôle inadmissible des intermédiaires, agences de notation et normes comptables, les régulateurs ont décidé de contraindre les banques à accumuler un capital considérablement accru pour porter leurs portefeuilles de crédits de toiute nature. Les banques les plus touchées sont évidemment les banques commerciales qui financent leurs crédits avec des dépôts alors que les banques d’investissement ont la pratique de fourguer leurs crédits aux marchés. Du fait de ces charges nouvelles, les banques commerciales sont condamnées à faire comme les banques d’investissement, revendre leurs crédit aux investisseurs, c'est-à-dire à adopter le système originate to distribute. On pourrait en rire si ce n’était si grave : les régulateurs ont ainsi pris la décision de transférer aux marchés tous les risques de crédit. Ce faisant ils dormiront plus tranquilles et ne se sentiront pas responsables des risques systémiques qu’ils auront indirectement créés. Je dis aujourd’hui clairement que la prochaine crise  systémique sera de leur responsabilité.

En effet, les investisseurs qui acceptent de porter des risques de crédit, confiants dans des marchés calmes, confiants dans les notations et les auditeurs, sont des moutons de Panurge qui prennent peur lorsque les conditions de marchés deviennent difficiles. Ils sont les premiers à vendre leurs titres. La volatilité des prix des transactions immédiates se transmet aux valeurs de portefeuilles grâce à des règles comptables qui affectent ces prix à l’ensemble des titres du marché mondial, sans frein ni recul à ces volatilités. Les effets s’enchaînent et la panique est susceptible de devenir une crise systémique. Quand tous les marchés s’effondrent il est temps pour les gouvernements d’intervenir, qu’ils le veuillent ou non.

 Les régulateurs ont tout faux : ce sont les systèmes bancaires qui sont les mieux placés pour porter des risques de crédit : mieux placés pour en juger de la valeur, mieux placés qu’une agence de notation, mieux placés pour les refinancer avec leurs dépôts stables, mieux placés pour rester calmes dans les périodes de crise, surtout si les normes comptables finissaient pas être adaptées à leur modèle plutôt qu’à celui de Goldman Sachs. Evidemment, la crise a montré que les régulateurs n’avaient pas été capables de réguler les banques pour éviter leurs excès. C’est pourtant à eux de se réformer, plutôt que de se défausser de leurs responsabilités sur des marchés dont ils connaissent les vulnérabilités. Les deux modes de distribution du crédit ont chacun lerus avantages et leurs inconvénients : il importe de trouver un juste équilibre entre les deux, en fonction du rôle et de la maturité des marchés et des types de concours à l’économie. Ce travail reste à faire.

Si les régulateurs persistent dans ce comportement, les gouvernements devraient prendre conscience qu’ils sont ainsi devenus les otages du système  de Wall Street.

 La dette des Etats est une créance comme les autres, notée et comptabilisée comme les autres. Dans ces conditions, la capacité d’émission d’un Etat, la tenue de sa dette sur le marché sont dépendants des agences de notation et de prix immédiats des marchés. Comme les régulateurs, les gouvernements sont piégés par la dialectique diabolique des chantres des marchés parfaits. « Comment, vous refusez le diagnostic du marché, vous refusez l’opinion des investisseurs, vous refusez le jugement des agences de notation indépendantes, si c’est le cas, sortez du marché ».

Tétanisés par le risque de la mise à l’index par les marchés, abasourdis par des média anglo-saxons méprisant et menaçant ceux qui voudraient se soustraire à cette discipline, complexés par leurs problèmes de budgets difficiles à équilibrer faute de pouvoir réduire leurs dépenses, les pays européens se soumettent à la règle d’un jeu dont ils font les frais sans le moindre avantage. L’Europe a  affermé en 2005 ses normes comptables aux  Ayatollahs de l’IASB, grâce à l’influence des banques de la City sur la Commission Européenne. De son côté, les régulateurs de Bâle, où pourtant les USA n’ont pas voix au chapitre (…mais cinq représentants), ont finalement adopté le système américain qui n’a d’intérêt que pour Goldman Sachs et ses collègues de Wall Street.

 Les gouvernements des Etats Européens ont été pris en otages par les marchés, dans une guerre transatlantique. Il serait temps qu’ils s’en rendent compte et qu’ils osent prendre les mesures appropriées. Elles sont simples, connues et de bon sens. : normes comptables et régulation bancaire européennes.

 

 

BEING HAPPY !  au Marin, Martinique, le 25 février

 

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