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La croisière de BEING HAPPY! de Jean-François LEPETIT
19 octobre 2011

Les ennemis de l'intérieur : les producteurs

Nous partons pour Dakhla ( Maroc ) demain, 560  nautiques. Jean-Louis, Guy, Francis, J-F

Pour la traversée, un petit regard sur les ennemis  de l'intérieur : après les spéculateurs ( les prédateurs) , voici les producteurs.

Produits simples et produits complexes

Dans les années 70-80, période de la déréglementation des marchés, les équipes de la BANQUE INDOSUEZ ont participé à la création des nouveaux instruments financiers, qualifiés alors de NIF, et en particulier des produits dérivés, contrats de taux d’intérêt et options, notamment de change.

Le succès du produit dérivé tient à sa simplicité, même s’il exige une minute d’abstraction. Un instrument classique, une obligation, est constituée de fonds reçus par le débiteur et présente pour l’investisseur essentiellement deux risques : un risque de taux et un risque de défaut de remboursement. Ces deux risques sont chacun quantifiables, en fonction du capital investi, de la durée de l’emprunt, de la nature du débiteur  et des évolutions du marché en comparaison du taux initialement convenu. Cette quantification séparée  permet de créer deux instruments  « dérivés ». L’un, un contrat de taux d’intérêt, dont le risque est lié à la variation des taux ; l’autre, un contrat de risque de crédit, dit CDS (Credit Default Swap)  dont le risque  est lié au défaut potentiel du débiteur. Ces deux contrats sont dérivés du « sous-jacent » auquel ils sont liés par le montant de l’obligation et les caractéristiques du contrat initial et de son émetteur.

L’avantage considérable du dérivé est qu’il permet de prendre un risque – ou de se couvrir du même risque – sans investir le capital du sous-jacent : c’est la variation du risque qui fait l’objet du contrat. Le risque sur ce contrat est infiniment plus faible que sur le contrat du sous-jacent, d’où son efficacité : coût minime du contrat, risque de contrepartie faible pour les contractants. Le dérivé permet donc un effet de levier considérable : pour prendre le même risque de taux  que l’obligation sous-jacente, l’acheteur du contrat dérivé n’investit qu’une faible fraction du capital de cette obligation.

Enfin, ces contrats peuvent être standardisés pour être cotés sur une bourse, renforçant considérablement leur efficacité.

J’avais coutume de dire à l’époque que nous avions ainsi inventé des produits financiers « matières premières », assimilant les risques financiers (taux, change, volatilité, crédit etc.) à des instruments « primaires » à la disposition des besoins de gestion de risques financiers élémentaires. La simplicité, le coût minime, la liquidité de ces produits était une nouveauté, une découverte qui valait, pour les marchés financiers, ce que furent les métaux ou  le pétrole pour les révolutions industrielles du XIXème siècle. Nous en étions très fiers.

Dans un premier temps, les dérivés ont été effectivement traités comme des matières premières, pour des besoins précis de la gestion financière des acteurs économiques et des institutions financières. C’est ce que j’ai appelé l’âge d’or des marchés dans mon livre «  Homme de marchés », parce que tous les acteurs étaient gagnants : clients, intermédiaires, compétitivité de l’économie etc.

Très vite, dans un second temps, les intermédiaires financiers ont vu l’intérêt de combiner ces matières premières pour fabriquer des instruments complexes présentant des caractéristiques de risque et de performance particuliers. Ces acteurs économiques passèrent ainsi en quelques années du secteur primaire – les matières premières -, au secteur secondaire – des produits combinés, dits structurés  - puis au secteur tertiaire de la grande distribution d’hypermarché financier, tout en intégrant la totalité de la chaine. Le business model  des intermédiaires était devenu la production et la vente d’une gamme de produits diversifiés et renouvelés.

Créer un nouveau produit sur une bourse réglementée demande du travail : standardisation de l’instrument financier, émission d’une information juridique et financière détaillée, notation éventuelle d’une agence, entre autres tâches. Mais un instrument coté sur une bourse bénéficie en contrepartie de l’avantage de la concentration des acteurs. Les produits dérivés et les index boursiers sont ainsi très profitables. Il s’en crée tous les jours de nouveaux.

Sur le marché de gré à gré, rien de plus simple que de créer un produit puisque les transactions sont bilatérales et sur mesure. Il suffit que l’institution financière et sa contrepartie  se mettent d’accord sur un contrat. Ces contrats sont d`ailleurs souvent standardisés par des organisations professionnelles.

Dans tous les cas le problème est celui de la complexité des produits et de la compréhension de leurs risques par les acheteurs. Qu’ils soient grand public, comme une SICAV, ou un titre complexe combinant des capitaux et des dérivés de deuxième génération, il faut toujours une grande compétence pour analyser correctement l’évolution du rendement de l’instrument selon l’évolution des marchés. J’en ai fait l’expérience personnelle lorsque j’étais président de la COB. Ayant à donner un visa sur un OPCVM (organisme de placement collectif en valeurs mobilières)  à capital garanti destiné aux réseaux grand public d’une  des plus grandes banques nationales, je décidais de soumettre le visa à l’approbation du Collège plutôt que de le signer par délégation. On connaît la compétence des membres du Collège. Pourtant, ni eux, ni moi-même, n’avons été capables d’estimer correctement les risques et le rendement de cet OPCVM à partir des informations fournies réglementairement par la banque. Il est infiniment probable que les vendeurs de ce réseau bancaire n’en savaient pas plus que nous et qu’ils devaient être bien en peine d’expliquer leur produit à la Veuve de Carpentras bien connue.

Quelles que soient les obligations d’information de l’intermédiaire à l’égard de son client, du respect des règles d’adéquation du produit aux besoins du client, il existe une asymétrie fondamentale entre l’intermédiaire et son client, au détriment de ce dernier. Le banquier en sait plus que son client, mais le risque est pris par le client. Il faudrait être naïf pour croire que l’intermédiaire sera totalement transparent, d’autant qu’il n’aura pas lui-même toujours compris la complexité de son propre produit.

Le client lui-même encourage souvent la sous-estimation des risques du fait de sa crédulité naturelle en matière financière et sa propension à croire à l’impossible. Le client est toujours tenté d’emprunter moins cher que le prix du marché ou d’investir avec un meilleur rendement. Pour cela, il suffit que l’intermédiaire combine un instrument financier « normal » avec un produit dérivé qui fait prendre un risque au client et dont la rémunération diminue le taux d’emprunt ou augmente le rendement. Le dérivé est alors en fait une option dont le prix est acquis par le client en contrepartie d’un  risque difficilement mesurable, qui se réalisera plus tard. Qui est capable de faire les scénarios de l’évolution de l’option dans le temps ? Certainement pas le client, ni le vendeur de la banque. Seule la salle des marchés connaît le prix réel qui diffère évidemment de celui encaissé  par le client. Dans toute ma carrière de régulateur, je n’ai jamais réussi à faire donner au client  l’information sur le prix de l’option : on m’objectait « la boîte noire » ou les secrets de fabrication de la salle des marchés. La vérité toute crue est que la salle sous-estimait gravement et secrètement – même au reste de la banque -  le prix de l’option vendue par le client. Le client était d’autant plus lésé qu’il n’avait pas une idée claire des scénarios du pire pour lui en contrepartie de cette option.

L’illustration la plus lumineuse de ces comportements est celle des collectivités locales françaises. Des personnalités politiques, sans doute moins incompétentes qu’elles ne l’ont dit, mais sensibles à des financements à taux minoré dont le risque est renvoyé à plus tard, ont pris ces risques. Elles ont accepté des opérations qu’elles n’auraient jamais dû faire et que les banques n’auraient jamais dû leur proposer. On en connaît maintenant les résultats. Chez la banque DEXIA, cinq mille cinq cents collectivités furent clientes de ces produits : un beau chiffre. Le fait que cette banque vienne de disparaître est une justice tardive mais ne garantit rien de mieux pour l’avenir.

Il est impossible de trouver une vraie solution au problème de la complexité et de la transparence sur les risques des produits. Pourtant deux voies peuvent être utilisées pour au moins minorer les conséquences de cette situation.

La première est de distinguer entre les clients supposés compétents et les autres. On peut ainsi estimer que des investisseurs institutionnels, de grandes entreprises, des clients privés milliardaires sont en principe compétents, à la différence de notre veuve de Carpentras. Aux premiers, les intermédiaires peuvent vendre des produits sophistiqués, avec une information appropriée. Aux autres, le devoir des intermédiaires est de limiter la complexité des produits. Cette solution logique pêche pourtant par ses deux côtés.

Rien de plus simple qu’une SICAV monétaire. Pourtant, la composition de son portefeuille détermine son risque et le gestionnaire dispose d’une liberté qui peut faire varier considérablement le risque réel de la SICAV. On en a fait l’expérience dans les SICAV monétaires dites « dynamiques » et dans leurs équivalents aux USA, les Money Market Funds, les uns et les autres ayant « boosté » leurs rendements par l’intégration de « subprime » dans leurs portefeuilles. Il est donc clair que tout produit plus sophistiqué qu’une SICAV monétaire présente a fortiori des risques peu compréhensibles pour le grand  public. C’est tellement vrai que les banques se sentent obligées – et sont encouragées paradoxalement par les régulateurs – de compenser les pertes de leurs clients sur des véhicules qui se révèlent cruellement perdants. Certains  des trois cent mille clients de la Poste, qui avaient acheté le produit si bien nomme « BENEFIC », purent obtenir un dédommagement de leurs pertes. Pourtant il fut impossible à la très professionnelle Commission des sanctions de la COB de condamner l’intermédiaire pour manquement à ses obligations.

Il est logique de pouvoir aussi compter sur la compétence des professionnels des métiers de trésorerie d’entreprise ou de gestion de capitaux. Et pourtant ! Toute mon expérience me prouve que l’analyse du risque des instruments financiers complexes peut dépasser, et en fait le plus souvent dépasse, la compréhension d’un grand nombre de professionnels, surtout si l’information dont ils disposent n’est pas complète ou aussi éclairante qu’elle le devrait. Il est donc nécessaire de renforcer les obligations des intermédiaires a l`égard de leurs clients, tout en sachant que l`information est asymétrique et qu`une bonne commission au vendeur de la banque ou au trader de la salle des marchés diminue l`information et augmente les risques…

La deuxième voie est simplissime sur le plan conceptuel. Le régulateur doit exiger que les intermédiaires proposent à leurs clients des produits que je qualifierais de « chimiquement purs » au sein de leurs différentes gammes de produits. Par exemple, au sein de la gamme des produits monétaires, une SICAV monétaire « chimiquement pure » ne pourrait investir que dans des instruments sans risque, fonds d`Etat et titres cotes AAA. L`objectif est de permettre au client de pouvoir investir dans des produits parfaitement compréhensibles parce que simples.

Cette solution est effectivement très simple, mais se heurte a une opposition acharnée des intermédiaires : ce qui est trop transparent est trop concurrentiel et ne permet pas de marges. Ce qui est transparent ne permet pas de vendre un risque caché qui permet la performance apparente. On ne sort de l`ambigüité qu’à son détriment disait Mitterrand. Oh combien avait-il raison sur ce point, et dans tous les domaines des marchés!

Aux USA comme en France, deux pays en pointe dans ce problème, un pas a été franchi dans la bonne direction. Outre Atlantique, certains Money Market Funds ont leur valeur d’émission garantie par le gestionnaire. En France, l’AMF a créé une catégorie de SICAV monétaire dont les portefeuilles doivent se concentrer sur des instruments à faible risque.

C’est un progrès. Malheureusement, en période de crise, comme aujourd’hui, tous les actifs finissent par être suspects même les plus simples et les plus respectables: les banques, les Etats, les entreprises, les économies. Suspects, parce qu’ils sont évalués par le marché et par les comptables à leur valeur marginale dans des marchés illiquides : on n’organise pas mieux la panique générale. D’autres ennemis en vue.

En conclusion sur les producteurs, la complexité des produits financiers est le talon d’Achille des nouveaux marchés : le risque lié à la complexité est grand pour les clients et il est impossible de bien les protéger. Caveat emptor, Buyers beware ! sont des formules inapplicables inventées par des vendeurs.Le risque est aussi important pour les banques et les professionnels, mais nous y reviendrons plus tard.

Prochain message : les gestionnaires.

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Commentaires
H
on vient de voir "the Inside Job" et ça plus tes messages très explicites sur ton blog... on se dit qu'on marche à l'envers... et surtout, vers où...<br /> <br /> Papa, on compte sur toi... use de ton pouvoir et ton influence pour alerter et peut etre contribuer à éviter une catastrophe...<br /> <br /> <br /> gros bisoux et grand merci pour ces explications... et puis surtout, beaucoup plus important, bonne traversée!<br /> <br /> Hélène et toute la famille qui pense à toi!
La croisière de BEING HAPPY! de Jean-François LEPETIT
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