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La croisière de BEING HAPPY! de Jean-François LEPETIT
12 octobre 2011

Les ennemis de l'intérieur : les spéculateurs

 

Les spéculateurs

Dans un marché ouvert  à tous, on trouve deux types d’intervenants. Les clients, qui font des transactions sur des instruments financiers pour les besoins réels de leurs activités économiques ou de la gestion de leur patrimoine : prêter, emprunter, acheter des devises, des actions, des dérivés, des titres de dette, des produits immobiliers etc.  Et les spéculateurs qui font les mêmes transactions su r les marchés, mais sans la finalité économique ou financière qui caractérise le « vrai » client. Ils prennent des « positions » sur des produits financiers pour gagner de l’argent quand ils « dénouent » ces positions, c'est-à-dire quand ils font les mêmes transactions en sens inverse. Une précision s’impose d’emblée : un investisseur est un client, car il achète un produit financier avec ses propres capitaux à la différence du  spéculateur qui emprunte les capitaux qu’il met en œuvre. L’argent éventuellement gagné n’a pas la même signification économique ou  même morale pour l’un et l’autre. Le rendement pour l’investisseur   est justifié par la possession des  capitaux investis et par le risque qu’il accepte de prendre. L’argent  gagné par le spéculateur provient de l’effet de levier de l’emprunt au marché. C’est un magicien qui fait pour lui-même de l’argent avec celui des autres. Des religions médiévales et chrétiennes, de même que musulmanes ont justifié et justifient encore par cette différence leur interdiction du prêt à intérêt.

En sens inverse, une foule d’experts et d’universitaires est  constamment mobilisée  pour justifier la spéculation dans un marché. Deux grands arguments sont mis en avant. Le premier  est  d’ordre philosophique : la liberté dans un marché est la règle. Le spéculateur, comme tout autre acteur, doit être libre de faire ce qu’il veut. Il prend des risques et doit en avoir le rendement, bon ou mauvais. Le deuxième argument est pratique : le spéculateur apporte de la liquidité au marché et permet de faire plus de transactions et d’obtenir de meilleurs prix, dans l’intérêt de tous.

Soyons plus concrets : l’argent éventuellement gagné par les spéculateurs est prélevé sur l’ensemble du marché et constitue donc un coût pour les « vrais » clients. Ce coût est-il justifié ? En effet, il ne va pas de soi que le marché soit fait pour les spéculateurs ; leur liberté est octroyée. Comme on l’a dit, le marché est fait pour ses « vrais » clients.

Dans un marché idéal, un « vrai  client » acheteur ferait sa transaction avec un « vrai client » vendeur. En pratique, même dans des marchés actifs et bien achalandés, il est peu probable qu’un client – un acheteur - rencontre au même instant un client en sens contraire – un vendeur -  pour le même produit, le même montant, la bonne échéance et un prix satisfaisant pour les deux parties. Apparait à cette occasion un premier type de spéculateur, que nous qualifierons de « bon » spéculateur et, professionnellement, « d’arbitragiste ».

L’arbitragiste est un spéculateur puisqu’il prend une position pour la revendre plus tard avec profit. Mais ce qui compte, c’est le pourquoi et le comment  de sa position. L’arbitragiste constate une offre dans le marché qui ne trouve pas immédiatement sa contrepartie. Il fait une proposition en cotant une petite différence avec le prix proposé par l’offreur, qui, finalement, accepte la transaction. L’arbitragiste a pris une position à un prix un peu inférieur au prix du marché et il lui reste à faire de la même manière une opération en sens  inverse. Cet arbitragiste ne gagne pas parce qu’il a bien jugé de l’évolution des cours, comme un vrai spéculateur, mais parce qu’il encaisse un « spread », c'est-à-dire une différence entre le prix d’achat et de vente de sa position, dans un cours lapse de temps. La répétition systématique de ces « aller-retour » dans le temps, mais aussi  dans  l’espace (d’une place financière à  l’autre au même moment), est caractéristique du métier d’arbitragiste : peu de risque (position dénouée rapidement), mais beaucoup de capitaux mis en œuvre, en ligne avec  les capacités de mobilisation de capitaux  d’une banque d’arbitrage. Au fond, l’arbitragiste ne gagne pas à cause des mouvements de prix, comme le spéculateur classique mais malgré ces mouvements : c’est le contact avec le client qui lui permet d’encaisser une légère différence de cours. La justification du profit est certes dans la technique d’arbitrage, mais surtout dans l’accès au « vrai » client.

Ce métier est clairement un service rendu au marché et à ses « vrais » clients : l’arbitragiste apporte effectivement une liquidité indispensable au bon moment pour le marché. 

En revanche l’action du « vrai » spéculateur est d’une tout autre nature. Il  intervient seulement quand il a une « vue » sur le marché. Dans ce cas, on constate qu’il n’apporte pas de la liquidité au marché, mais qu’au contraire, il la « préempte » en sa faveur. Il agit donc comme un « vrai » client, sauf qu’il n’en est pas un. Il profite de la liquidité du marché. C’est d’autant plus vrai que le spéculateur n’agit pratiquement jamais à contre-tendance, comme l’arbitragiste : c’est trop dangereux car le spéculateur risque d’être obligé à tenir longtemps ses positions avec le risque d’enregistrer des pertes comptables en attendant le retournement du marché.

En outre, le spéculateur sait mieux que d’autres que le marché est imprévisible et qu’il faut  donc agir de deux manières. Soit en fonction d’informations privilégiées que son réseau lui permet d’obtenir. Nous en ferons plus tard un message du blog. Soit en accompagnant la tendance, en la renforçant pour mieux gagner, en accélérant la volatilité du marché pour encourager les moutons de Panurge à paniquer dans le sens souhaité. Bref, en manipulant le marché, seul ou, mieux, à plusieurs. Les plus grands spéculateurs professionnels chassent en meute. Le meilleur exemple de ces comportements est celui de Georges Soros poussant la livre sterling dans ces derniers retranchements, sans risque réel compte tenu de l’impossibilité pour les Autorités britanniques de tenir la parité de leur monaie contre la spéculation du monde entier. Ce jour-là, en 1982  comme auparavant en novembre 1967 une meute de  spéculateurs a fait fortune aux dépens d’un Etat. J’ai du mal pour ma part à justifier les milliards de dollars gagnés par ce brillant gérant  de hedgefund. J’ai tendance à assimiler ces spéculateurs à des prédateurs sans la moindre valeur ajoutée. Le principe de liberté des marchés a bon dos.

Ce type d’action de spéculation ou d’arbitrage se réalise sur les marchés organisés, mais il est aussi caractéristique des marchés de gré à gré (Over The Counter). Ces marchés ne sont ni régulés ni organisés.  À dire vrai, ce ne sont pas des marchés car il n’y a pas de concentration physique ou informatique des acteurs. Comme je l’ai dit brièvement en introduction, ils sont constitués par un ensemble d’institutions financières qui réalisent des transactions individuelles, bilatérales, avec le réseau de leurs clients et de  contreparties. Le client, au lieu de s’adresser à une bourse, soit parce qu’elle n’existe pas pour son produit, soit parce qu’il veut faire une transaction sur mesure répondant exactement à ses besoins, s’adresse alors  à une institution financière reconnue pour être un market maker afin de  réaliser son objectif.

Ce qui est intéressant ici est que nous pouvons faire les mêmes observations que précédemment sur les comportements d’arbitrage et de spéculation. L’institution financière à laquelle s’adresse le client propose un prix et si le client fait la transaction, elle doit gérer et retourner cette position avec d’autres clients ou d’autres contreparties du marché. Ce métier est dit de trading pour compte de clients mais en fait s’assimile à de l’arbitrage, dans sa cause – le client – dans son risque – court et limité – et dans la justification économique et morale des gains. Voilà notre « bon » spéculateur

Symétriquement, tout acteur, institution financière ou autre, si sa surface financière le lui permet, peut prendre des positions spéculatives en réalisant des transactions avec une contrepartie du marché. Le spéculateur prélève ses gains sur le marché dans les mêmes conditions que sur les marchés organisés, en jouant des tendances, des volatilités et des emballements des marchés. Lorsque la spéculation est faite par une institution financière, elle est définie comme du trading pour compte propre, sans doute pour éviter le mot spéculation. La différence entre les marchés organisés et les marchés de gré à gré est considérable : les premiers sont régulés, les seconds ne le sont pas et fonctionnent sans transparence ni contrôle des transactions et de leurs prix. Autrement dit, la spéculation est infiniment plus facile et discrète sur les marchés de gré à gré.

Une première conclusion s’impose d’elle-même. Les marchés de gré à gré et les marchés organisés bénéficient pleinement  de l’action des arbitragistes et des traders pour compte de clients. La spéculation sous d’autres formes que la leur ne se justifie ni par la liquidité – en fait prélevée sur le marché-, ni par son action sur les prix, bien au contraire, car le plus souvent manipulés. La seule justification est le principe général de liberté des acteurs, mais les crises à répétition et l’inacceptable volatilité des marchés sont  clairement corrélées  à une action massive des spéculateurs et des traders pour compte propre. Lorsque sur le marché à terme du pétrole de Chicago une étude de la CFTC vient de constater que plus de 90% du chiffre d’affaires de certains contrats de commodities sont réalisés par des spéculateurs, on peut exprimer des doutes sur leur utilité et des certitudes sur leur influence ; il est certain que les consommateurs  en subissent directement les conséquences.

Paul Volker, à la suite de la crise récente, a réussi à faire interdire aux USA le trading pour compte propre , une pure spéculation pour les raisons évoquées. En fait, les lobbies bancaires de Wall Street  réussiront sans doute à détricoter les lois complexes votées par le Congrès dans l’enthousiasme réglementaire  de l’après-crise. Quoi qu’il en soit, les traders de salles de marchés bancaires ont déjà émigré chez les hedgefunds et ils continueront leur action avec encore plus de liberté. Ils n’en seront que plus dangereux pour les marchés.

Les autres pays n’ont même pas suivi cette tentative louable des autorités US de limiter la spéculation. Sans doute parce que les spéculateurs sont les premiers acteurs des marchés : bourses, marchés organisés, banques d’investissement vivent essentiellement de ces activités spéculatives.  On connaît aussi qu’elles en vivent bien. On connait les résultats hors normes des banques d’investissement et des brokers de Wall Street, ainsi que les rémunérations  excessives des traders.  On peut compter sur leur lobbying pour freiner l’ardeur des politiques et encourager les universitaires à conforter les  bonnes thèses libérales.

Conclusion : la spéculation n’a aucune valeur ajoutée pour le marché et elle représente un coût qui peut s’avérer exorbitant pour les clients.

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