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La croisière de BEING HAPPY! de Jean-François LEPETIT
21 décembre 2011

les Hedge funds ennemis de l`interieur

Gestion alternative et hedge funds

La gestion traditionnelle consiste à investir dans des instruments financiers pour le compte de tiers,  dans le cadre sa régulation (AMF). On se souvient que pour mesurer la performance de cette gestion, il faut préalablement se référer aux types d’investissements et à leurs risques, puis mesurer l’écart de gestion par rapport à des indices représentatifs ou à des paniers de risques prédéfinis. Par exemple, vous investissez dans des valeurs françaises cotées : l’indice CAC 40 peut servir de mesure de votre performance relative.

Par rapport à ces gestions classiques, la gestion alternative a pris à son origine deux routes parallèles qui ont récemment convergé.

La première, historiquement, est la gestion pour compte propre des salles de marchés. Ces activités de gestion de capitaux ne sont pas régulées par le régulateur de la gestion, mais par le régulateur bancaire –l’ACP-. Le premier s’occupe de protéger l’investisseur, contre la banque notamment, le second veut encadrer les risques pris par la banque pour lui éviter de faire faillite. Une banque peut se procurer sur le marché tous les capitaux nécessaires pour financer des positions ou utiliser les marchés de produits dérivés dont l’effet de levier est plus important pour prendre des risques financiers. Ces positions peuvent être directionnelles, sur des instruments dont elle espère la hausse ou la baisse de prix. Ce sont des opérations de spéculation, telles que nous les avons déjà décrites.

La banque peut aussi faire des arbitrages,  c'est-à-dire prendre simultanément des positions sur divers instruments et divers marchés pour profiter d’écarts de prix anormaux dus à des circonstances momentanées : l’essentiel d’un arbitrage est que les positions soient globalement sans risques car les différents risques sont en principe adossés les uns aux autres et se compensent. L’arbitrage consomme beaucoup de capitaux mais son rendement est d’autant plus grand que le risque est faible. ( hedge).

On a vu précédemment ce qu’il faut penser de ces activités : la spéculation, le compte propre des salles de marchés est un ennemi de l’intérieur. L’arbitrage a son utilité pour le marché.

De son côté, la gestion alternative est née de la recherche de performance par le gestionnaire. On sait qu’il lui faut du temps (pour réaliser ses anticipations), de l’opacité de ses stratégies (pour éviter d’être copié ou contré), et de la mobilité sur les instruments investis  (pour saisir toutes les opportunités). On sait aussi que les contraintes de la régulation sont strictement opposées à ces objectifs, exigeant liquidité, transparence et fixité des stratégies. La gestion classique ne peut pas être performante, c’est le prix à payer pour la protection de l’investisseur. On est en droit de s’en étonner…

C’est pourquoi la gestion alternative s’est organisée hors du champ du régulateur, sur des places offshore, au profit d’investisseurs privés ( US) suffisamment riches et avertis pour prendre le risque de se passer de sa protection. Le business model est la simplicité même : il s’agit de mettre en œuvre les mêmes stratégies que les traders de salles de marchés. En agissant ainsi, le gestionnaire alternatif n’a ni les contraintes de la régulation de la gestion, ni les contraintes de la régulation bancaire : joli, non ?

Comme le trader de salle de marchés, le gestionnaire alternatif utilise l’effet de levier des dérivés, des « repos » et des emprunts sur le marché. Il peut choisir de prendre des positions directionnelles, comme tout spéculateur ou préférer réaliser des arbitrages entre instruments et leurs marchés. Ces arbitrages de risques minimes, car adossés les uns aux autres, justifient l’appellation de hedge funds. Dans ce dernier cas, comme le trader, il recherche une performance en valeur absolue et obtient ainsi un rendement optimum des capitaux investis. Compte tenu de la performance attendue, le gestionnaire exige une part du rendement obtenu (20% par ex.) plus un pourcentage (1 à 2%) des capitaux gérés. Il investit aussi son propre argent dans les fonds. Toutes ces rémunérations sont fiscalement abritées dans les paradis ad-hoc, d’où l’engouement certain des gestionnaires pour ce business model de la gestion alternative !

On constate donc que les traders et les gestionnaires alternatifs font le même travail ; nul ne s’étonnera que les premiers aient été attirés par le métier des seconds.

Pour autant, dans les premières décennies de la déréglementation, les activités des salles de marchés étaient extrêmement profitables.  Les régulateurs, enfermés dans la logique politique du laisser-faire et de la liberté pour tous, se souciaient peu des risques de marchés, de leur mesure,  ni de leur couverture par des capitaux propres. Les ratios de fonds propres affectés aux risques de marchés étaient ridiculement faibles, permettant aux banques de faire des rendements de 40 ou 50 % des capitaux requis. Les traders recevaient des rémunérations et des bonus en cohérence avec cette rentabilité, c'est-à-dire hallucinants. Ils n’avaient pas besoin d’émigrer dans la gestion alternative, sauf les plus gourmands d’entre eux.

Au fur et à mesure que les régulateurs ont aggravé l’encadrement de ces risques de marchés, et surtout depuis les crises de 2008 et de 2011, la rentabilité des activités pour compte propre et des arbitrages de salles de marchés a été réduite considérablement,  aujourd’hui de plus de 50%. Aux USA, la gestion pourcompte propre a même été  interdite par les lois Volker (ou presque…).

Depuis plus de dix ans, les grandes banques US et quelques européennes ont alors réalisé quels avantages supplémentaires elles pouvaient tirer de la gestion alternative. Elles ont encouragé leurs traders à créer, sous leur égide, des hedge funds, en leur procurant tous les services nécessaires à leur fonctionnement : comptes d’instruments financiers et comptes de clearing, opérations de « prime brokerage etc.. En contrepartie, les gestionnaires réalisaient une grande partie de leurs opérations avec la salle des marchés. Les banques encourageaient leurs clients à souscrire aux fonds : il leur était facile de faire valoir la compétence des traders-gestionnaires alternatifs ainsi que la surveillance rapprochée de leurs risques, tout en bénéficiant d’une rentabilité à deux chiffres…insuffisante pour la banque mais bienvenue pour le client. Au total, la banque faisait autant de profits, sans engager pratiquement de capitaux propres. C’est ainsi que la gestion alternative et la gestion des salles de marchés se sont rapprochées, pour la plus grande rentabilité des banques. Dans un rapport que je faisais à notre Ministre, Christine Lagarde, sur le risque systémique, j’expliquais cet arbitrage réglementaire des banques qui créaient ainsi une partie du shadow banking system et généraient pour elles mêmes un excess return au dépends de la réglementation.

Quel jugement porter sur la gestion alternative ?

A la différence du gestionnaire « passif », un classique déjà rencontré, le gestionnaire alternatif est un gestionnaire actif. On ne peut que se féliciter qu’il gère activement les capitaux qui lui sont confiés en gestion en prenant des positions directionnelles. Un premier  caveat s’impose néanmoins : le trader alternatif est extrêmement actif et ne se contente pas d’observer l’évolution des cours : il construit en permanence sa position, la retourne, la reprend etc. Son influence sur le marché est infiniment plus importante que les capitaux officiellement traités et ses motivations peuvent être très diverses…

Le premier problème vient de l’effet de levier utilisé ( repos, emprunts, dérivés,). A hauteur de ces multiplicateurs, le gestionnaire actif est un spéculateur et donc un prédateur du marché, comme nous l’avons vu plus tôt. Il l’est d’autant plus que le gestionnaire de hedge fund ne cherche pas à s’opposer aux erreurs du marché mais plutôt à accompagner, à encourager les tendances mêmes les plus folles. Pire, nombreux sont les managers qui répandent des rumeurs, fournissent aux journalistes la matière qui fera réagir les marchés dans le sens souhaité. La crise actuelle a démontré comment des media américains et Anglo-Saxons déchainés ont tenté et réussi à déstabiliser les marchés de dettes gouvernementales européennes et les systèmes bancaires continentaux. Agences de natation dégradant les banques, Federal Reserve Bank interdisant aux banques US de prêter du dollar aux banques étrangères, normes comptables accélérant les exigences de fonds propres des banques en ligne avec la baisse orchestrée des prix des dettes gouvernementales européennes, FMI – tu quoque mi fili – exigeant à corps et à cri une recapitalisation des banques françaises parfaitement inutile sauf pour DEXIA : tout ce concert a fait les choux gras des hedge  funds qui se sont gavés de CDS ( instruments dérivés utilisés pour la baisse des cours) afin d’ accélérer  la chute des prix et gagner  sur tous les tableaux. On voudrait faire accréditer la théorie du complot qu’on n’aurait pas mieux fait.

Je ne suis pas loin de penser que la spéculation des gestionnaires alternatifs contre les marchés financiers gouvernementaux est non seulement nocive mais devrait relever  de poursuites pénales. Déstabiliser des Etats dans l’intérêt de Wall Street est loin d’être  véniel. S’en prendre à la souveraineté des Etats n e peut ête que gravement illégal. Nombre d’institutions internationales pourraient figurer comme complices involontaires, voire volontaires quand, dans le  cas des normes comptables et du FMI, elles savent exactement ce qu’elles veulent.

Je dois en outre faire remarquer que de nombreux gestionnaires de hedge funds sont des collecteurs et des utilisateurs d’informations privilégiées. Leur ndomiciliation dans des juridictions peu ou pas coopératives les met à l’abri du régulateur et de ses recherches. A Wall Street ou dans la City,, on peut noter quelques cas spectaculaires d’inculpation par le régulateur ou les Cours concernées, mais ils sont rares, pas toujours sanctionnés faute d’établir juridiquement des preuves. Comment prouver que Mr. X a transmis une information à Mr. Y ? Mon expérience dans ce domaine est très décevante.

Nous avons condamné la spéculation, par principe. Les méthodes des hedge funds, contestables voire condamnables, mais à l’abri du non droit, ne devraient pas non plus avoir droit de cité dans les marchés. Leur permettre de spéculer, c’est déjà trop, que dire d’accepter des tricheurs ?

De nombreux gestionnaires alternatifs expliquent qu’ils ne procèdent qu’à des arbitrages, essence même des hedge funds bien gérés. C’est vrai de beaucoup d’entre eux, mais il est difficile de séparer le bon grain de l’ivraie dans un busines peu transparent. L’Edhec Risk Research réalise un travail considérable dans cette direction. Je retiens pour ma part que ce centre de recherche souligne que la plupart des hedge funds ont une composante directionnelle importante et donc une corrélation avec les marchés classiques et donc un  rôle spéculatif. En outre, il est impossible d’avoir une vue d’ensemble d’une industrie qui subit un taux de disparition important et où on ne parle que des succès, le temps qu’ils durent.

Au terme de ce message, la conclusion est simple : le régulateur est fautif de vouloir encadrer les gestionnaires classiques de contraintes qui pénalisent voire suppriment la performance. Il faut que  la régulation fasse une grande place  à des gestionnaires actifs utilisant les ressources des techniques sophistiquées de gestion.

Mais ce n’est pas si simple : quand j’étais président de la COB, j’ai débuté un tel programme d’adaptation de la gestion alternative à Paris. Mon successeur Michel Prada l’a finalisé.

Bizarrement, nous avons rencontré beaucoup d’obstacles : pour les résumer disons que les business models sous les cocotiers sont plus attractifs que d’autres sur le plan fiscal, et que les gestionnaires alternatifs s’appliquent à eux-mêmes  la bonne règle qu’on sort toujours de l’ambigüité à son détriment.

Enfin, il est sans doute difficile, sinon impossible, d’interdire la spéculation et la gestion alternative. Il est pourtant essentiel pour les Etats de pouvoir contrôler, voire intervenir dans ces secteurs. Un accord international doit en conséquence contraindre tous les gestionnaires et tous les fonds, alternatifs ou non, à être régulés par des juridictions compétentes et coopératives. Corrélativement, les intermédiaires financiers doivent se voir interdire de travailler avec des gestionnaires et des fonds non régulés. Il y va de la survie des marchés financiers.

 

BEING HAPPY arrivé au Marin, à la Martinique, après 11 jours et 4 heures de mer.

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